De la difficulté de classifier la littérature (et de l’occasion de se rencontrer aux Imaginales)
par Ploum le 2023-05-24
La sérendipité de mon bibliotaphe m’a fait enchainer deux livres entre lesquels je n’ai pas pu m’empêcher de voir une grande similitude. « L’apothicaire » d’Henri Lœvenbruck et « Hoc Est Corpus » de Stéphane Paccaud.
Si l’un conte les aventures du très moderne Andreas Saint-Loup dans le Paris de Philippe le Bel, l’autre nous emmène dans la Jérusalem de Baudouin le Lépreux. Tous les deux sont des romans historiques extrêmement documentés, réalistes, immersifs et néanmoins mâtinés d’une subtile dose de fantastique. Fantastique qui ne l’est que pas le style et pourrait très bien se révéler une simple vue de l’esprit.
Dans les deux cas, l’écriture est parfaitement maitrisée, érudite tout en restant fluide et agréable. Lœvenbruck se plait à rajouter des tournures désuètes et du vocabulaire ancien, lançant des phrases et des répliques anachroniques pleines d’humour. Paccaud, de son côté, alterne rapidement les narrateurs, allant jusqu’à donner la parole aux murs chargés d’humidité ou au vent du désert.
Bref, j’ai adoré tant le style que l’histoire et je recommande chaudement ces deux lectures même si le final m’a chaque fois légèrement déçu, tuant toute ambiguïté de réalisme et rendant le fantastique inéluctablement explicite. J’aurais préféré garder le doute jusqu’au bout.
D’ailleurs, Henri Lœvenbruck, Stéphane Paccaud et moi-même serons ce week-end à Épinal pour les imaginales. N’hésitez pas à venir faire coucou et taper la causette. C’est la raison même de ce genre d’événements. (suivez-nous sur Mastodon pour nous trouver plus facilement).
De la classification de la littérature
S’il fallait les classer, ces deux livres devraient clairement se trouver côte à côte dans les rayons d’une bibliothèque. Des romans historiques avec des éléments fantastiques. D’ailleurs, Lœvenbruck m’a asséné : « Une histoire n’est pas fantastique. Elle comporte des éléments de fantastique ! » (citation approximative,).
Mais voilà. Henri Lœvenbruck est réputé comme un auteur de polars. Vous trouverez donc « L’Apothicaire » dans la section polar de votre librairie. Quand à « Hoc Est Corpus », il est paru dans la collection Ludomire chez PVH éditions, une collection (où je suis moi-même édité) spécialisée dans la « littérature de genre », à savoir la SFFF pour « Science-Fiction Fantasy Fantastique ».
Quelle importance, me demandez-vous ? On s’en fout de la classification.
Pas du tout !
Car, comme je l’ai appris à mes dépens, le lectorat grand public ne veut pas entendre parler de science-fiction ou de fantastique. Le simple fait de voir le mot sur la couverture fait fuir une immense quantité de lecteurs qui, pourtant, en lit régulièrement sous la forme de polars. La plupart des librairies générales cachent pudiquement sous une étagère quelques vieux Asimov qui prennent la poussière et ne veulent pas entendre parler de science-fiction moderne. Quelques échoppes tentent de faire exception, comme « La boîte à livre » à Tours, qui a un magnifique rayon ou le salon de thé/librairie « Nicole Maruani », près de la place d’Italie à Paris, qui m’a fait la surprise de mettre mon livre à l’honneur dans son étagère de SF (et qui fait du super bon brownie, allez-y de ma part !).
Mais Ploum, si le mot « science-fiction » est mal considéré, pourquoi ne pas mettre simplement ton roman dans la catégorie polar ? Après tout, Printeurs est clairement un thriller.
Parce que la niche des lecteurs de science-fiction est également étanche. Elle se rend dans des lieux comme « La Dimension Fantastique », près de la gare du Nord à Paris. Un endroit magique ! J’avais les yeux qui pétillaient en survolant les rayons et en écoutant l’érudition du libraire.
La SF est-elle condamnée à être cantonnée dans sa niche ? À la Dimension Fantastique, le libraire m’a confié qu’il espérait que le genre gagne ses lettres de noblesse, qu’il voyait une évolution ces dernières années.
Pour Bookynette, l’hyperactive présidente de l’April et directrice de la bibliothèque jeunesse « À livr’ouvert », le genre à la mode est le « Young Adult ». Et c’est vrai : dès que le protagoniste est un·e adolescent·e, soudainement le fantastique devient acceptable (Harry Potter) et la pure science-fiction dystopique devient branchée (Hunger Games).
Bref, la classification a son importance. Au point de décider dans quelle librairie vous allez être. Étant un geek de science-fiction, j’ai l’impression d’en écrire. Mais j’ai la prétention de penser que certains de mes textes vont au-delà de la SF, qu’ils pourraient parler à un public plus large et leur donner des clés pour comprendre un monde qui n’est pas très éloigné de la science-fiction d’il y a quelques décennies. Surtout les genres dystopiques. En pire.
La science-fiction ne parle pas et n’a jamais parlé du futur. Elle est un genre de littérature essentiel pour comprendre le présent. Peut-être doit-elle parfois se camoufler pour briser certains a priori ?
On se retrouve sur le stand PVH aux Imaginales pour discuter de tout ça ?
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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