Pourquoi j’ai supprimé mon compte Twitter (et pourquoi vous pouvez probablement en faire autant sans hésiter)

par Ploum le 2023-10-29

Je suis complètement addict aux réseaux sociaux. Je suis complètement obnubilé par mon image sur ceux-ci. Pendant des années, dès qu’une nouvelle plateforme apparaissait, j’y créais un compte "@ploum" histoire de « garder le contrôle » sur mon pseudonyme. Je tenais les comptes de mes followers sur chacune. Je me présentais comme « @ploum » dans le premier slide de mes conférences.

Il y a déjà un an, Elon Musk prenait les rênes de Twitter, le renommait en « X-anciennement-Twitter » et le transformait, d’après les témoignages que j’en ai, en une soupe nauséabonde. Je dis « d’après les témoignages » parce qu’à l’époque, cela faisait justement un an que j’avais supprimé mon compte.

Si j’ai supprimé mon compte, avant même l’arrivée d’Elon Musk, il y’a des chances que vous puissiez supprimer le vôtre également. Et peut-être pas seulement sur Twitter.

Je parle bien de le supprimer, pas de ne « plus l’utiliser » ou « le mettre en sommeil ». Je suis passé par là également et cela n’a rien à voir. C’est comme les personnes, dont la télé trône au milieu du salon, mais qui disent ne pas la regarder. Ou rarement. Enfin… pas trop souvent. Enfin, juste quand on s’ennuie. Ou quand il y’a un truc intéressant… Et puis aussi pour avoir une présence.

En supprimant mon compte, j’ai retiré un utilisateur de la plateforme et fait baisser sa valeur. J’ai supprimé toute possibilité de me contacter sur ces plateformes, possibilité qui faisait que, même si je n’utilisais plus un service, je m’y connectais une fois par mois pour répondre aux messages qui arrivaient forcément là-bas, car, si compte il y a, il y’aura toujours quelqu’un pour l’utiliser.

En supprimant mon compte, je suis devenu injoignable sur cette plateforme. Ce qui rend la plateforme un tout petit peu moins attractive pour mon entourage et ceux qui me suivent. Ce qui fait que la plateforme ne pourra pas montrer mon nom dans la liste de contacts lorsqu’une personne qui a mon numéro de téléphone s’inscrira pour la première fois. J’ai également supprimé un follower de tous ces créateurs que j’aime, mais qui sont, comme moi, un peu trop addicts aux likes.

Bref, en supprimant mon compte Twitter, j’ai rendu le monde un poil meilleur.

Oui, mais si on veut te contacter via cette plateforme

Si on veut me contacter, supprimer mon compte est la meilleure des choses. Parce que personne ne tentera de me contacter sur une plateforme où je ne suis pas. Personne ne pensera que j’ai reçu le message.

Comme je l’expliquais, les réseaux sociaux publicitaires ne nous mettent pas en relation, ils nous vendent l’illusion d’être en relation. En faisant parfois exactement le contraire.

Pour le cas d’un groupe particulier utilisant une plateforme, c’est souvent difficile d’être le premier à quitter. J’ai souvent eu l’impression de m’exclure des groupes qui n’étaient pas techniques (les différents sports que je pratique dans mon cas). J’ai signalé à plusieurs personnes que je ne recevais pas les infos. J’ai rappelé que je n’étais pas sur la plateforme utilisée, Facebook, Twitter ou Whatsapp. J’ai demandé à certains de me faire suivre les messages.

Cela a été difficile jusqu’au moment où une deuxième personne s’est révélée ne pas être non plus sur la plateforme. Soit qu’elle l’ait quittée, soit qu’elle ne l’ait jamais été. À partir de ce moment-là, les membres du groupe prennent conscience que la plateforme n’est plus représentative du groupe. Et l’intérêt pour la plateforme diminue pour disparaitre totalement avec la troisième personne qui n’y est pas non plus.

Être le premier est difficile et pas toujours possible dans un groupe. Mais si vous ne savez pas être le premier, soutenez toute autre tentative et soyez le second.

Oui, mais on peut usurper ton identité.

Sur Twitter, je disposais d’un compte vérifié (et ce depuis plusieurs années, à une époque où c’était encore rare et une source de frime), un compte créé en 2007 avec presque 7000 followers. J’y étais attaché. J’en étais fier même si avoir un nombre de followers à 4 chiffres est un peu la gêne chez les influenceurs de la nouvelle génération.

Avant de supprimer mon compte, je l’ai annoncé. À tous les messages qui arrivaient pendant une semaine ou quelques jours, j’ai répondu que ce compte allait être supprimé. Je l’ai également annoncé sur mon site et sur Mastodon.

Il est important de rappeler qu’à la suppression d’un compte Twitter, le pseudo est bloqué pendant un an. Pendant un an, personne ne peut l’utiliser.

Un an plus tard, quelqu’un pourrait en effet utiliser votre identifiant. C’est arrivé avec @ploum, un an jour pour jour après la suppression du compte. Le nouveau compte @ploum n’a rien à voir avec moi et ne peut en aucun cas être confondu avec moi.

Oui, ma petite notoriété m’a déjà fait subir des attaques voire du harcèlement. Oui, j’ai déjà vu des faux ploum se faire passer pour moi, ce qui a motivé d’ailleurs à l’époque ma vérification par Twitter. Pourtant, la probabilité que l’identifiant soit réutilisé par une personne qui me connait et est motivée pour me nuire était tout de même très faible. Parce que, honnêtement, tout le monde s’en fout de mon compte Twitter. Surtout quand il faut attendre un an après sa disparition.

Mais admettons que ce soit le cas. Un compte Twitter serait apparu qui aurait repris mon pseudo et un avatar crédible avant de commencer à raconter des atrocités en se faisant passer pour moi.

Et alors ?

Ce genre de compte a toujours été possible en jouant sur de subtiles variations orthographiques. On pourrait imaginer @pl0um, @ploom, @p1oum, … Cela fait un an que mon compte avait disparu, il n’est plus référencé sur mon site ni dans aucune bio, il a 0 follower. Quelle est la crédibilité d’un faux compte ?

Ne pas supprimer son compte Twitter par peur d’usurpation d’identité, c’est reconnaître à Twitter un pouvoir énorme, un pouvoir étatique : celui d’assigner l’identité des individus. Reconnaissez-vous Elon Musk comme garant de votre identité ? Si non, il est urgent de supprimer votre compte. Et si oui, rappelez-vous que Musk peut s’arroger de prendre votre identifiant à sa guise. Il l’a déjà fait.

Ce genre d’argument, que j’entends très souvent, me fait également souvent sourire parce que, en toute honnêteté, qui est suffisamment important pour qu’on veuille usurper son identité sur Twitter ? Et quels problèmes de cette situation très hypothétique ne pourraient pas être réglés par un simple « Ce compte Twitter se fait passer pour moi, mais ce n’est pas moi » sur vos autres plateformes et sur votre site ? Franchement, au rythme où ça va, vous pensez vraiment qu’il y’aura quoi que ce soit de crédible sur Twitter dans un an ? Si votre identité numérique est importante, investissez dans un nom de domaine avant toute chose !

L’inventeur, auteur et technologiste Jaron Lanier, par exemple, n’a jamais eu de compte sur aucun réseau social. Il a d’ailleurs écrit un livre très court pour vous convaincre d’effacer vos comptes. Pourtant, il y’a plusieurs comptes à son nom, certains portant même la mention « officiel ». Il se contente de dire sur son site que ces comptes ne sont pas de lui. Point à la ligne, problème réglé.

OK, toi tu l’as fait, mais moi je vais perdre ma communauté et mon audience

Comme le raconte Cory Doctorow, votre audience Twitter a déjà disparu. Ce n’est qu’un chiffre. Le média NPR a supprimé son compte Twitter et ses visites ont baissé de moins de 1%. Cory Doctorow a 10 fois plus de followers sur Twitter que sur Mastodon. Mais quand on parle des partages et des réponses, le ratio s’inverse. Mastodon est clairement beaucoup plus actif.

La même expérience vient d’être menée involontairement par l’application Signal. Le compte Twitter officiel de Signal, 600k followers, a en effet réagi à l’annonce d’une faille de sécurité.

Ce message a fait la première page du populaire site Hacker News et a donc été vu beaucoup de fois, y compris par des gens ne suivant pas le compte Signal sur Twitter.

5h plus tard, alors que le message Twitter faisait déjà le buzz, Signal a reposté le contenu sur son compte Mastodon, qui n’a « que » 40k followers (15 fois moins).

Pourtant, à l’heure où j’écris ces lignes, le nombre de partages est incroyablement identique (641 contre 615). Le nombre de réponses est également très similaire (30 contre 23). Et si on retire les "lol", les memes et autres réponses de moins de cinq mots, on peut même arriver à la conclusion que le fameux « engagement » sur Twitter est à peu près nul. (UPDATE: une semaine plus tard, le nombre de partages est passé à 1100 sur Mastodon pour 900 sur Twitter)

L’écrivain Henri Lœvenbruck a également supprimé complètement son compte Twitter et sa page Facebook en 2022. Il est pourtant connu et vit de sa notoriété. Son roman « Les disparus de Blackmore », publié quelques mois après cette suppression, s’est mieux vendu que le précédent. Nul ne saura jamais s’il aurait pu en vendre encore plus en étant sur Facebook ou Twitter. Mais la preuve est faite que cette présence n’est absolument pas indispensable.

Je le dis et le redis : le nombre de followers est faux. C’est une information qui est conçue dans l’optique de vous tromper.

Oui, vous avez le droit de supprimer vos comptes

Le sentiment de m’être fait avoir en créant des comptes sur Twitter, Facebook et autres Medium est fort. Mais ma seule erreur a été de croire les promesses de cette industrie. Ce n’est pas moi qui me suis trompé, ce sont les plateformes qui nous ont menti. Certains le prédisaient déjà à l’époque et me traitaient de naïf. Je ne les ai pas écoutés, je m’en excuse auprès d’eux. J’ai parfois argué « qu’il fallait aller où les gens étaient », devenant moi-même un allié de ces plateformes. Je vous ai encouragé, vous qui me lisez depuis des années, à m’y rejoindre, contribuant à leur emprise. Je m’en excuse profondément auprès de vous.

Ne pas déceler un mensonge est une erreur. À ma décharge, c’est une erreur qui peut arriver à tout le monde.

Mais aujourd’hui, le mensonge est éclatant. Il est indéniable. Recommanderais-je à mes amis de s’inscrire sur ces plateformes ? Serais-je d’accord que mes enfants s’y inscrivent ? Si la réponse est non à l’une de ces questions, garder un compte sur ces plateformes n’est plus excusable.

Nous sommes le composant essentiel des plateformes centralisées. Si nous n’aimons pas ce qu’elles sont ou ce qu’elles deviennent, si leurs valeurs sont en contradiction avec les nôtres, notre devoir est de les quitter, de les assécher, pas de lutter pour les améliorer.

Ne pas réagir et continuer à se laisser faire lorsque le mensonge est flagrant n’est pas une erreur, c’est à la limite de la complicité. C’est encore plus le cas pour les organisations et les militants qui prétendent soutenir des valeurs opposées à celles de la plateforme. On ne peut pas lutter contre le capitalo-consumérisme sur Facebook ni contre l’extrême droite sur Twitter. Le prétendre n’est qu’hypocrisie intellectuelle.

Et j’en ai été le premier coupable.

Aujourd’hui, je tente de réparer mes erreurs du passé en vous demandant, à vous mes amis qui lisez ceci, de supprimer vos comptes sur ces réseaux sociaux publicitaires. Je peux vous rassurer : non, vous n’allez que peu ou prou manquer des choses importantes. Oui, ça sera dur au début, mais ça ira de mieux en mieux. Et peut-être que vous allez y gagner beaucoup plus que ce que vous imaginez.

Oui mes amis, vous avez le droit, vous avez le devoir de supprimer vos comptes !

PS : Je dédie ce post à Henri Lœvenbruck, cité plus haut dans cet article. Cela fait un an jour pour jour que t’es arrivé sur Mastodon. J’en suis heureux pour toutes les expériences vécues ensemble cette année et dans les prochaines. Joyeux mastanniversaire mon ami !

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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