Meta-blogging, lectures sur Gemini et conquête spatiale

par Ploum le 2024-02-22

Meta-blogging

Pluralistic, le blog de Cory Doctorow, fête ses quatre ans.

Cory est une énorme source d’inspiration pour moi. Il poste presque tous les jours, appliquant une méthode qu’il intitule Memex. Je le lis depuis son tout premier billet, je me demande comment il tient un tel rythme. Et je crois avoir percé une partie de son secret : son blog n’est qu’un ensemble de notes qu’il prend durant la journée et qu’il poste le soir ou le lendemain. Je me suis pris à penser à toute cette énergie d’écriture que je passe à répondre à de longs mails, à poster sur des forums, à poster et à lire sur Mastodon, à mettre dans mes notes personnelles. Et si je m’inspirais encore plus de sa méthode ?

Avec la croissance du lectorat de ploum.net, je me suis inconsciemment imposé une forme de perfectionnisme dans l’écriture de mes billets. Je rejette beaucoup de brouillons qui ne sont pas satisfaisants, je relis, je corrige parfois pendant des jours, des semaines ou des mois jusqu’au moment où le billet n’est de toute façon plus pertinent. J’ai énormément perdu en spontanéité. J’ai également peur de vous « spammer ».

Parfois, je me laisse aller à poster un billet spontané. Je le poste en me forçant à ne pas trop réfléchir. Et ça me fait plaisir. J’avais également tenté de faire des billets « en vrac » inspiré par Tristan Nitot. Deux exemples au hasard :

Quand j’y repense, ces billets m’ont vraiment été utiles. Je m’y suis référé plusieurs fois pour trouver des liens, pour revenir à des réflexions que j’avais.

On me demande très souvent des conseils pour se mettre à bloguer. Le plus important que je donne est toujours de bloguer pour soi. De ne pas réfléchir à ce qu’on pense qui pourrait plaire à son audience, mais de publier. De publier ce qu’on a soi-même dans les tripes.

J’ai suffisamment d’expérience avec le buzz pour savoir que le succès à court terme d’un billet de blog est très difficilement prévisible. Et même lorsque le billet fait un buzz incroyable, cela n’est généralement pas perceptible si l’on n’a pas de statistiques et si on n’est pas sur les réseaux sociaux. Être le sujet d’un buzz procure une décharge de dopamine et puis… c’est tout ! C’est addictif, mais souvent plus nocif qu’autre chose, car on se surprend à en vouloir toujours plus, à guetter les votes sur Hackernews, à s’énerver sur les commentaires de ceux qui ne sont pas d’accord avec vous.

L’impact à long terme d’un billet est, lui, encore moins prévisible. Il est également très personnel : je me surprends à relire certains de mes billets, à y refaire référence, à m’en servir comme point d’ancrage pour certaines idées quand bien même tout le monde semble s’en foutre.

Je dis bien « semble s’en foutre » parce qu’on ne peut jamais savoir. Sous la masse d’internautes qui postent sur les réseaux sociaux, sur les forums et qui commentent, il y a dix fois plus de personnes qui lisent en silence, qui partagent en privé.

« Ploum, je suis heureux de te rencontrer. Ton billet X a changé ma vie ! » m’a un jour dit un·e lecteurice en faisant référence à un billet publié cinq ans plus tôt et pour lequel je n’avais eu aucun retour.

« J’ai imprimé ton billet Y pour le faire lire à mon père. Nous avons passé la soirée à en discuter » m’a dit un·e autre.

Je conseille à tous les apprentis blogueurs de lâcher prise, de publier ce qu’ils ont dans la tête. Mais pourquoi ne pourrais-je pas appliquer mes propres principes ?

Car c’est difficile de lâcher prise, de ne pas apparaître comme ayant toujours une prose bien construite, bien arrêtée. C’est dur de montrer ses doutes, de faire des raccourcis de raisonnement dont on aura honte après les premiers retours, de reconnaitre ses erreurs.

Et du coup, sans transition…

Quelques liens de ma journée

Une courte tranche de vie d’un parent dont l’enfant a un diabète de type 1. Tellement courte que l’on dirait un pit-stop en formule 1.

Oui, c’est un lien Gemini. Gemini est un réseau où l’absence de métriques telles que les statistiques ou les likes rend l’écriture beaucoup plus personnelle, beaucoup moins calibrée. Je me retrouve à lire des tranches de vie, des réflexions qui n’ont aucune prétention et c’est très inspirant. À l’inverse, j’ai vu plusieurs personnes abandonner ce réseau parce qu’elles n’avaient pas de likes ni de statistiques et avaient l’impression de publier dans le vide. Le fait que je les lisais se plaindre prouvait qu’elles ne parlaient pas dans le vide. Mais ce qui est effrayant, c’est de se rendre compte qu’un simple chiffre articifiel sous un cœur ou sur un tableau Google Analytics nous fait croire que, ouf, là je n’écris pas dans le vide.

J’ai justement eu un échange à ce sujet avec un lecteur qui me pointait vers le concept du Web Revival:

Je tiens à préciser que je suis assez contre le terme « revival ». Il tend à idéaliser un passé qui n’a jamais existé. Le Web a très vite été envahi de publicité, de popups. Mais, évidemment, je soutiens l’idée d’un web minimaliste. Mon correspondant m’apprend que le site Melonking se targue de faire 38 millions de vues par mois (je n’ai pas la source). Or, c’est exactement là tout le problème du Web : comment le webmaster compte-t-il ces 38 millions de vues ? Pourquoi les compte-t-il ? Pourquoi s’en vante-t-il ? Et pourquoi cela impressionne-t-il tellement les lecteurices ?

J’ai désactivé toutes les statistiques possibles sur mon blog. Les seuls chiffres que je ne peux pas cacher son mon nombre de followers sur Mastodon (qui est public) et le nombre d’abonnés à mes mailing-listes (sauf si vous vous abonnez à la version text-only sur Sourcehut, là je n’ai aucune visibilité). Idéalement, j’aimerais n’avoir accès à aucune de ces statistiques. Et c’est peut-être pour cela que j’apprécie tellement Gemini.

Mais, rassurez-vous, le contenu est identique que sur la version Web de mon blog. Vous ne ratez donc rien en ne venant pas sur Gemini. Pour ceux que ça intéresse, le protocole Gemini est très simple et doit son nom au programme spatial Gemini. Le port utilisé, 1965, est d’ailleurs une référence explicite à l’année du premier vol Gemini habité de Virgil Grissom et John Young. Pour entériner la simplicité du protocole Gemini, Solderpunk, son créateur, vient d’annoncer son intention de clôturer définitivement le travail sur la spécification au plus tard le 18 mars 2027, mais, si tout va bien, le 8 mai 2025. Oui, ces jours ont une signification spéciale en lien avec la conquête spatiale.

La conquête spatiale

La sonde Voyager 1 est en train de rendre l’âme.

Le fait qu’elle ait fonctionné jusqu’ici est proprement hallucinant. Adolescent, j’avais dévoré le livre de Pierre Kohler racontant son épopée. Aujourd’hui, lorsqu’une sonde est envoyée dans l’espace, une réplique exacte, au bit et au boulon prêt, est gardée dans un laboratoire pour déboguer tout problème et tester toute solution. L’ESA avait notamment dû reprogrammer en urgence la sonde Cassini alors qu’elle s’approchait de Saturne, car ils s’étaient rendu compte que l’effet Doppler n’avait pas été correctement pris en compte dans les calculs initiaux du récepteur.

Mais, à l’époque de Voyager 1, personne n’avait encore pensé à cette technique. Cela signifie qu’il n’existe pas de copie de la sonde Voyager et que le code informatique embarqué a complètement disparu. La sonde est en train de boguer, mais personne ne sait exactement quel code ni même quel système d’exploitation tourne. Ce qui rend le débogage particulièrement difficile, surtout lorsque le ping est de 48h. Il y a donc, dans l’espace intersidéral, hors de la zone d’attraction du soleil, un ordinateur qui tourne avec un système d’exploitation qui n’existe pas sur terre.

Conclusion

Je n’avais pas prévu de poster de billet de blog aujourd’hui. Mais regardez où m’amène la méthode de Cory Doctorow. Contrairement à lui, je ne compte pas faire cela tous les jours. Mais j’espère bien me permettre de poster sans arrière-pensée. Je vais également (encore) moins répondre à vos emails (que je lis toujours avec autant de plaisir). Plutôt que de réponses individuelles, parfois très longues, je vais m’inspirer de vos réflexions pour créer des billets publics.

En espérant que vous comprendrez que ces billets sont des réflexions mouvantes, parfois imprécises ou erronées. Comme l’ont d’ailleurs toujours été tous mes billets de blog. C’est juste que j’essayais de me convaincre (et vous convaincre) du contraire.

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

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