Lectures : Une société de mensonges

par Ploum le 2024-03-15

Productivisme

En lisant ce simplissime et magnifique texte de Bruno Leyval décrivant la condition ouvrière, je ne peux m’empêcher d’avoir « Tranche de vie » de François Béranger en tête. Et de prendre pleinement conscience à quel point le fonctionnement en pause des usines est inhumain.

Le travail de nuit est nécessaire pour plein de raisons : la santé, la sécurité, l’aide aux personnes. Ou bien dans l’agriculture, dans le soin de tout ce qui est vivant, des plantes aux animaux. Mais que dire du fait qu’on force des humains à travailler de nuit et se détruire irrémédiablement la santé pour fabriquer des bagnoles ou empaqueter des petits pois dont personne ne voudrait s’il n’y avait pas ce matraquage incessant du marketing ? Qui est ce « on » qui force ? Les patrons ? Les politiciens ? Ou nous-mêmes, les consommateurs ?

Surveillance généralisée

Les caméras de surveillance partout, ça ne peut pas faire de tort, hein ? Y compris dans les distributeurs automatiques. Et puis voilà qu’à cause d’un bug, la population étudiante d’une université canadienne découvre que les vendeurs automatiques de chocolats font de la reconnaissance faciale. Le visage de chaque client est scanné, à son insu, et des statistiques sur l’âge, le genre et potentiellement plein d’autres choses sont envoyées au département marketing. Afin de nous vendre les merdes produites par les travailleurs passant leurs nuits sur des chaînes de production.

La question qui se pose : mais qui a accès à ces millions de données qui sont capturées autour de nous en permanence, que ce soit par notre montre, notre voiture, une caméra de surveillance ou un distributeur de boissons ?

Aram Sinnreich et Jesse Gilbert ont trouvé la réponse. Elle est simple : tout le monde. Il suffit de payer et ce n’est vraiment pas très cher.

Et même si vous n’avez aucun engin connecté, que vous faites très attention, aux États-Unis il est possible d’acheter les données concernant toutes les personnes se rendant à une adresse. Votre maison par exemple. Et savoir d’où elles viennent. Quel est leur niveau de vie.

Mais, dans ce cas-ci, le fabriquant du distributeur tente de rassurer : la machine respecte les lois, y compris le RGPD européen.

En fait, non. Le RGPD ne permet pas le scan de visage sans consentement. Mais si l’entreprise dit respecter le RGPD, qui ira vérifier ? Et comment vérifier ?

En utilisant le RGPD, j’ai fait effacer plus de 300 comptes en ligne à mon nom (ça m’a pris trois ans). Après plusieurs années, certains comptes soi-disant effacés ont recommencé à m’envoyer des « newsletters ». Donc, en fait, rien n’était effacé du tout. Mention spéciale au restaurant de sushis qui avait remplacé mon login "ploum" par "deleted_ploum" et prétendait que tout était effacé alors que j’avais encore accès au compte via le cookie de mon ordinateur. Ou le site d’immobilier qui a soudainement commencé à m’envoyer journalièrement les résultats d’une recherche que j’avais enregistrée… il y a 10 ans ! (et je ne pouvais pas me désinscrire vu que j’avais officiellement effacé mon compte depuis plus de deux ans).

Le marketing est, par définition, du mensonge. Les gens travaillant dans le marketing sont des menteurs. Dans les écoles de marketing, on apprend à mentir, le plus outrageusement possible. Tout ce qu’ils disent doit être considéré comme un mensonge. Nous sommes entourés d’un nuage de mensonges. Toute notre société est construite sur le rejet de toute forme de vérité.

Lorsqu’un menteur est pris en flagrant délit, ce n’est pas le mensonge détecté le problème. C’est, au contraire de réaliser tous les autres mensonges que nous n’avons jamais détectés.

Les hallucinations de Turing

Le test de Turing dit qu’une intelligence artificielle est véritablement intelligente si on ne peut pas distinguer ce qu’elle écrit de ce qu’écrirait un humain. Turing n’avait pas envisagé que l’immense majorité des écrits humains seraient des piles de mensonges produits par des départements marketing. Dans tout ce débat, ce qui m’impressionne n’est pas tellement l’intelligence de nos ordinateurs, mais la bêtise humaine…

Ce n’est même pas caché. Quand un journaliste de The Verge fait un article pour dire qu’une imprimante fonctionne bien (parce qu’elle imprime et pis c’est tout, ce qui est un truc de dingue dans le monde moderne), il est obligé de rajouter, de son propre aveu, du bullshit généré par ChatGPT afin que l’article paraisse sérieux aux yeux de Google. Lui, il le reconnait et préviens de ne pas lire. Mais pour un article comme cela, combien ne le disent pas ?

Les modèles de langage larges (LLM) sont condamnés à « halluciner », le terme politiquement correct pour « raconter absolument n’importe quoi ». Exactement comme les départements marketing. Ou comme les religions ou n’importe quelle superstition. L’être humain a une propension à aimer le grand n’importe quoi et à y trouver un sens arbitraire (c’est le phénomène de paréidolie, qui permet notamment de voir des formes dans les nuages).

Donc, ma question : vous espériez quoi, très sincèrement, des intelligences artificielles ?

Les mensonges que nous nous racontons

Et vous espérez quoi de l’humanité ? Non seulement nous passons notre temps à nous mentir, mais à « débattre » nos propres actions qui ne devraient même pas être discutables.

Allez, je vous donne un exemple de comportement que nous trouvons « normal » simplement parce que nous sommes trop crétins pour dire aux marketeux qu’ils sont de dangereux menteurs psychopathes et que donc, on se dit qu’ils ne doivent pas avoir toujours complètement tort.

Oui, je veux sauver la planète ! Chaque jour, je prends sur mon salaire pour faire un don de dix ou vingt euros à une énorme organisation multinationale qui fait travailler les enfants dans des conditions horribles et qui est responsable de près de 1% de toutes les émissions de CO2 de la planète. Sans compter les polluants : je participe chaque jour à l’une des plus importantes sources de pollution des nappes phréatiques et des océans.

C’est pour ça que je les soutiens chaque jour. Ça me coûte cher, mais je continue ! Et en les soutenant, je participe à tuer 8 millions de personnes chaque année, à causer 50x plus de cancers en France que n’importe quelle autre pollution et je participe activement à empirer toutes les maladies respiratoires dans mon entourage, surtout les plus jeunes.

Bref, je fume.

En plus, je pue. Je dérange tout le monde, mais personne n’ose me le dire, car c’est « ma liberté ». Les non-fumeurs sont tellement bien élevés, ils n’osent pas me dire que, si, ça les dérange que je m’en grille un. Alors, j’emmerde les non-fumeurs, j’emmerde les asthmatiques, j’emmerde la planète, car fumer, c’est ma liberté. Donner mon argent à l’une des entreprises les plus polluantes du monde, c’est ma liberté. Rendre asthmatiques mes enfants, c’est ma liberté. D’ailleurs, je vais manifester pour le climat en m’en grillant une !

Le tabac est un exemple très symptomatique : il est hyper dangereux, hyper polluant, hyper nocif y compris pour les non-fumeurs et n’a aucune justification pratique. Aucune, zéro, nada. L’interdiction de la vente de tabac aux jeunes ne devrait même pas être discutable. L’interdiction de fumer à moins de cent mètres d’un mineur devrait vous paraître une évidence.

Ce n’est pas le cas. Et beaucoup trouvent que simplement dire à un fumeur « tu pues, tu m’empestes » c’est « pas très respectueux », mais que se taper une crise d’asthme ou un cancer de tabagisme passif, c’est « normal ». Socialement, je ne comprends pas comment on ne considère pas un type qui allume une clope en public comme quelqu’un qui enlève son pantalon et se met à déféquer au milieu de la rue : comme un gros dégueulasse qui n’a aucune éducation et qui empeste son environnement (avec la différence que la merde n’est pas cancérigène).

Pour mettre en rapport, le tabac c’est trois crises du COVID chaque année. Rien que les morts annuels du tabagisme passif sont au même niveau que les victimes du COVID. Mais, contrairement au COVID, on ne prend aucune mesure alors que celles-ci sont faciles et évidentes. Pire, on encourage activement notre jeunesse à fumer !

Il faut en déduire que tant qu’on tolère la vente et la fumée dans l’espace public, c’est qu’on n’a pas envie de sauver la planète ni la vie des humains. Voilà, au moins les choses sont claires. Ce n’est pas qu’on ne peut pas. On ne veut pas. Point. C’est bon ? On peut arrêter de faire semblant et détacher les capuchons des bouteilles en plastique ?

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

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