Lectures : de la distraction à la destruction (de la planète)
par Ploum le 2024-04-11
Art, amusement et distraction
C’est marrant, je me demandais pourquoi j’entendais du Michael Jackson partout, depuis les magasins de ma ville aux vestiaires de la piscine. La réponse est simple : Sony vient d’acquérir tout le catalogue pour 1,2 milliard de dollars. Un artiste mort, c’est quand même plus rentable qu’un jeune. En France, on fait pareil avec Johnny Hallyday. Comme quoi, quand ça l’arrange, l’industrie est capable de faire du recyclage.
J’ai appris cela dans cet excellent article de Ted Gioia (The Honest Broker) qui revient sur la différence entre l’art et l’amusement (l’entertainment) et sur le fait que si l’art est menacé par l’entertainment, ce dernier est lui-même menacé par le business de… la distraction.
Les gens ne paient plus pour l’art, car ils préfèrent l’amusement facile. Mais ils n’ont plus le temps pour l’amusement facile, remplacé par de la distraction distillée, de manière infinie, par touches de quelques secondes. Avec le sentiment de « C’est juste quelques secondes, j’arrête quand je veux » et, au bout de la journée, des heures perdues à ne strictement rien faire. Je comparais d’ailleurs cette propension à celle de s’empiffrer de sucre industriel.
Et, comme le sucre, l’énorme problème de la distraction, c’est qu’elle est addictive.
Pour les créateurs et les artistes, il est impossible de lutter. C’est un fait. Mais il est très difficile de l’accepter. De ne pas sombrer dans la mouvance en tentant de créer des contenus de plus en plus courts, formatés sur ce qui est à la mode. L’artiste lui-même devient addict à son compteur de likes, aux statistiques de son site web. Il est distrait et crée lui-même de la distraction.
Ces 20 années de blog m’ont appris que je finissais toujours par regretter d’avoir cédé aux appels de la mode, des nouvelles tendances, des plateformes propriétaire, de l’autopromotion.
Cela me demande une certaine discipline de ne pas me demander pourquoi mon compteur de followers Mastodon a soudainement fait un bond ou un creux. De ne pas tenter de discuter ou, pire, de faire une blague pathétique de type « J’espère te revoir bientôt » quand quelqu’un m’écrit pour me dire qu’il n’arrive pas à se désabonner de ma mailing-liste.
Je suis addict à la reconnaissance. J’adore recevoir vos emails, dédicacer des livres. Mais, et cela me sauve peut-être, je ne supporte pas la « fausse reconnaissance ». Je veux être reconnu pour mon travail, pas pour avoir fait des cumulets à la télévision (je parle d’expérience). Il m’a fallu 20 ans pour comprendre que la meilleure façon d’être reconnu pour mon travail était… de travailler et non chercher la reconnaissance.
Vingt ans que j’écris publiquement. Vingt années qui ont été nécessaires pour préparer les vingt prochaines, pour me permettre de découvrir ce que j’ai besoin écrire plutôt que de tenter de deviner ce qu’un hypothétique public « veut ». Vingt ans pour apprendre que voir se construire son œuvre sur le long terme m’apporte plus de dopamine que tous les likes instantanés.
Dédicaces et rencontres
Puisse qu’on parle dédicaces, justement. Je serai à Paris ce samedi 13 avril. D’abord au Festival du livre de Paris de 13h30 à 15h sur le stand « Livre Suisse » (B21).
Et puis, à partir de 16h, avec Gee à la librairie « À Livr’Ouvert », boulevard Voltaire.
Mon éditeur, PVH, offre l’apéro avec des spécialités de Neuchâtel ! Je dédicacerai des exemplaires de Printeurs et de Stagiaire au spatioport Omega 3000. En attendant le prochain, prévu cette année…
Physique quantique et Relativité
Dans Printeurs, j’imaginais un système de communications instantanées traversant les cages de Faraday grâce au « quantum entanglement ». Du nom de cette propriété quantique qui fait que deux particules quantiques sont liées et partagent le même état, même à distance.
Pas de bol, ce n’est théoriquement pas possible.
- The Real Reasons Quantum Entanglement Doesn't Allow Faster-Than-Light Communication (www.forbes.com)
En fait, aller plus vite que la lumière remet en cause le principe même de causalité. Ce qui est un petit peu ennuyant.
Mais Printeurs reste très bien, lisez-le ! SyFantasy en dit que c’est « Un brin plus violent et anticapitaliste que le Neuromancien de Gibson ». J’en suis très fier.
Parodie
En parlant de Suisse et de PVH, Julien Hirt débarque dans la collection Ludomire et devient, par la même occasion, mon collègue. Je viens de dévorer son « Carcinopolis » et j’ai adoré cette ambiance sombre, presque lovercraftienne, d’une ville dont les bâtiments sont des cellules cancéreuses. Julien semble détester la cigarette presque autant que moi.
Julien tient également un blog où il analyse les ressorts de la théorie du récit, un sujet qui me passionne. Bon, sinon, il a aussi pondu un excellent foutage de gueule des récits de Fantasy.
J’ai éclaté de rire avec le coup de l’épée du destin achetée en solde chez Décathlon. Ça m’a rappelé que j’avais fait un truc similaire sur les chasses au trésor. Il y a… 17 ans. Cela ne nous rajeunit pas !
L’emprisonnement Discord
Pour une raison que je n’explique pas, tout le monde semble préférer des salons de discussions propriétaires. Alors que les solutions libres existent, certaines depuis des décennies : IRC, MUC XMPP ou, plus récent, Matrix, Slack reste la norme en entreprise et Discord pour tout le reste, y compris les projets Open Source.
Pourtant, ce sont de belles saloperies. Slack permet à votre employeur d’avoir accès à tout votre historique de conversation, même privé. Discord, dans ses conditions d’utilisation, stipule que vous abandonnez tout droit de poursuivre Discord en justice en cas de conflit. Légalement, ils sont obligés de vous laisser le choix de refuser cette clause, ce qui doit être fait par email. À chaque fois que les conditions d’utilisation sont modifiées par Discord.
Et si vous mettiez un peu de pression dans vos communautés Discord/Slack pour migrer vers une alternative libre et décentralisée ? Par exemple Matrix ! Où l’email… J’adore l’email !
L’email et le texte
Un email, c’est la plupart du temps un simple texte. Alors, pourquoi se casser la tête à en faire du HTML ? Pire : les mails en HTML sont dangereux, car ils peuvent se modifier lorsque vous les faites suivre.
Utilisez le texte brut dans vos emails !
Pour ceux qui, comme moi, n’aiment pas les mails HTML, je rappelle que vous pouvez recevoir mes billets en texte brut en vous abonnant sur la mailing-liste dédiée :
C’est également top pour votre vie privée et pour mon addiction à la reconnaissance, car je n’ai aucune visibilité sur les abonnés (pas même le nombre). Mais, en toute honnêteté, j’ai l’impression que les amateurs d’emails en texte brut sont également les personnes les plus susceptibles de préférer le RSS voire même Gemini. Allez savoir pourquoi…
Les mensonges d’Apple
Le principe de la publicité, c’est de mentir. Lorsqu’Apple prétend protéger votre vie privée, c’est faux. Oh, bien sûr, ils ont décidé de partager moins d’infos avec Meta. Mais ils se font payer l’équivalent d’un Twitter chaque année pour envoyer vos données vers Google. Et puis, bien entendu, ils exploitent eux-mêmes vos données.
Ce n’est pas moi qui le dis, mais une étude qui a tenté de mesurer l’impact des paramètres de protection de vie privée sur les produits Apple.
L’humain est paradoxal. Il veut faire comme tout le monde, faire partie du groupe. Mais il veut également avoir une identité propre, être différent. C’est un paradoxe typique de l’adolescence, mais, visiblement, tout le monde n’en sort pas.
Le génie d’Apple est d’avoir réussi à convaincre plusieurs milliards de clients (qui a dit « pigeons » ?) qu’Apple était un truc de rebelle, un truc unique, différent. Mais que tout le monde l’utilisait. Donc qu’en utilisant Apple, on était un rebelle comme les autres.
Si ça parait complètement stupide, c’est parce que ça l’est. C’est le principe d’une religion : convaincre les gens d’un truc tellement stupide qu’ils n’oseront jamais s’avouer s’être fait avoir et s’enfonceront. J’appelle cela « Le coût de la conviction ».
Étant donné son budget, Apple peut payer d’excellents ingénieurs qui produisent parfois d’excellentes choses, il faut le reconnaitre. Dans d’autres cas, on sent que c’est le département marketing qui a pris le dessus.
Pendant quelques années, j’ai utilisé un mac pour mon travail. Je me suis prêté honnêtement au jeu, je me suis immergé dans le système MacOS. C’est certes très joli. Quand je suis revenu sous Debian et Ubuntu, j’ai réalisé à quel point j’avais inconsciemment accepté de me compliquer la vie ou d’acheter un petit logiciel pour faire des trucs qui prennent une ligne de commande sous Linux. Mais, je le répète, c’était joli. Les produits Apple sont littéralement pensés pour faire cool dans une publicité.
Censure
Cette allégeance à Apple, Google, Discord et d’autres est ce que Yanis Varoufakis appelle le capitalisme féodal. En tant que paysan, on prête allégeance à un seigneur (voire plusieurs). On promet d’obéir à leurs lois et, en échange, ils nous protègent et nous permettent d’utiliser leurs services. C’est bien, non ? Et puis, ils font ça pour notre bien. Ceux qui disent que, par exemple, Facebook va censurer ce qui ne lui plait pas sont des conspirationnistes qui exagèrent.
Sauf que non. Facebook censure désormais les médias qui critiquent Méta. Ils ont également censuré tout ce qui parle de Mastodon. Ah oui, au fait, ils censurent également ce qui parle du réchauffement climatique parce que c’est sujet à « controverse ».
Au fait, on dit « réchauffement climatique », pas « changement climatique ». Le mot « global warming » était la norme jusqu’à ce que l’industrie du pétrole paie des spécialistes en propagande pour trouver une alternative qui serait moins effrayante. Ils ont pondu « climate change » qui donne l’impression que ce n’est pas dramatique et que c’est un processus naturel. Ils ont ensuite lobbyé de manière intense pour que le mot « global warming » disparaisse du discours officiel.
Ils ont réussi.
Un peu comme ont réussi ceux qui, malgré les avertissements de Richard Stallman, ont imposé qu’on dise « open source » au lieu de « logiciel libre ».
Les intérêts financiers tuent la planète à coup de modifications de notre vocabulaire.
L’obsolescence programmée d’Android
À lire sur ce sujet, une longue discussion avec Agnès Crepet, responsable longévité chez Fairphone. Je préviens les puristes, tout est en franglais (ce qui est compréhensible vu qu’elle bosse en anglais aux Pays-Bas), mais Walid a fait un travail de dingue pour retranscrire en expliquant les mots problématiques, c’est super intéressant et cela explique beaucoup des difficultés de Fairphone. Un truc m’a frappé : la principale source d’obsolescence d’un Fairphone est la non-mise à jour des firmwares propriétaires par les fabricants.
Comme c’est propriétaire, on ne peut rien faire. Mais comme on met à jour la version d’Android, l’ancien firmware ne fonctionne plus ou n’est plus considéré comme sécurisé par le noyau.
Un exemple de plus pour démontrer en quoi le code propriétaire est fondamentalement néfaste.
Je n’avais jamais compris pourquoi les fabricants de matériel voulaient garder secrets leurs micrologiciels. Ils ne gagnent de toute façon pas d’argent sur le code, non ?
Mais si le code est open source, le matériel dure plus longtemps. Et donc on en vend moins. Le code propriétaire est donc une merdification volontaire pour polluer plus. Soyez écolos, exigez du logiciel libre !
Le texte est également l’occasion de prendre un fameux coup de vieux. Agnès est en effet une co-fondatrice de la (très chouette) conférence Mix-IT, à Lyon. Elle m’avait invité à donner la keynote d’ouverture lors de l’édition de… 2014. Putain, 10 ans !
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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