Chérie, il n’y a plus de papier !

par Ploum le 2013-03-26

Ah non ! Pas encore ! Décidément, ça ne rate jamais. Je suis là, comme un pignouf, le pantalon sur les chevilles, et j’observe avec désarroi le maigre rouleau en carton où sont encore collés quelques reliefs de papier déchiré. Dans la main, je tiens la seule et unique feuille qui restait.

Soupir.

En m’étirant au maximum, je dois bien pouvoir atteindre l’armoire de la réserve en gardant mes fesses vissées sur la lunette. Humf ! Encore un petit effort. Gni ! J’attrape l’emballage plastique et… Victoire !

Je me saisis de mon précieux trophée, le dernier rouleau du paquet. Le dernier ? Machinalement, je fixe le code barre et murmure « Vide ». Dans mes lunettes, une légère notification me confirme que le fait a bien été enregistré.

C’est HouseSupply, une startup canadienne, qui a lancé cela. Plutôt que d’écrire une liste de courses, il suffit de s’inscrire et de scanner l’emballage des produits vides. De leur côtés, ils tiennent à jour l’état de votre stock pour ce produit et s’occupent de faire en sorte que vous ne soyez jamais à cours.

Bien sûr, cela fonctionne surtout pour les biens non-périssables que l’on souhaite avoir en permanence sous la main. Les produits ménagers, les conserves, les boissons gazeuses et, bien entendu, le papier toilette. Ils s’arrangent pour faire le minimum de livraisons possibles et tiennent compte de votre rythme de consommation.

Personnellement, j’adore. Lorsque je me rends au supermarché, c’est dorénavant uniquement pour acheter des produits frais. Du coup, je peux y aller à pieds avec un sac à dos plutôt qu’en voiture. Il est bien entendu qu’il ne faut pas oublier de scanner les étiquettes des pots vides. J’ai intégré le réflexe. Pour les autres, j’ai entendu dire que des poubelles intelligentes avec lecteurs RFID devraient bientôt s’en charger.

Un service similaire existe pour les produits périssables, avec rappel automatique lorsque la date de péremption approche. Mais j’avoue ne pas avoir franchi le pas. C’est mon côté un peu frileux mais la nourriture, c’est sacré. Je l’achète dans mon bon vieux super traditionnel.

Tout en tirant la chasse, je tente de camoufler les mauvaises odeurs avec la bonbonne décorée de champs de lavande et de petits oiseaux.

Pf…rr Pf…rr

Décidément, c’est le jour ! La bonbonne est vide. Sans réfléchir, je la tourne histoire de fixer le code barre en murmurant « Vide ». La notification qui s’affiche dans mes lunettes se marque en orange. Bizarre.

— Chérie ?

Une voix lointaine me répond du salon :
— Quoi ?
— Tu as changé de marque pour le Pschit-Pschit Sent-Bon lavande ?
— Oui. HouseSupply m’a fait savoir que plus de 70% de nos amis Facebook sont passés de Pschit-Pschit Sent-Bon à Ouragan Senteur et sont très satisfaits du changement pour un coût inférieur. J’ai accepté l’offre de changer.
— Ah, dis-je peu convaincu. Mais t’es sûr que c’était pas une promotion déguisée ?
— Non, j’ai demandé à Laure. Elle m’a confirmé que c’est tout aussi bon et que ça coûte moins cher. D’ailleurs, globalement, sur HouseSupply il y a une migration très nette vers Ouragan Senteur avec un fort taux de satisfaction. J’ai fait une recherche sur HouseSupply Trends et la migration inverse est elle quasi inexistante.
— Bon, dans ce cas, va pour Ouragan Senteur.

J’ai pas mal d’amis qui sont formellement opposés à HouseSupply. Ils parlent d’une invasion dans nos vies privées. De mon côté, je ne trouve pas cela pire que les cartes de fidélité. Et si quelqu’un tient absolument à mesurer ma consommation de papier toilette, grand bien lui fasse ! Est-ce qu’ils prennent en compte qu’un rouleau sur deux est tout simplement dégommé par le chat ? D’ailleurs, à choisir, je sacrifierais toutes mes données de consommation de PQ et de Pschit-Pshit Sent-Bon passées, présentes et à venir pour que le système puisse me prévenir que le rouleau est vide avant que je pose mes fesses sur la cuvette.

Genre un gros avertissement rouge qui clignote dans les lunettes : « Attention ! Vous allez vous asseoir sur la toilette mais le rouleau actuel ne comporte plus que six feuillets or votre consommation habituelle est de vingt-trois feuillets. »

Tout en me marrant silencieusement à cette idée, je jette le flacon vide de Pshit-Pshit Sent-Bon dans la poubelle appropriée et prend un nouveau dans la réserve. Tiens, il s’agit du dernier ! Une livraison ne devrait donc pas tarder…

Photo par Jane Waterbury

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.


Permalinks:
https://ploum.net/cherie-il-ny-a-plus-de-papier/index.html
gemini://ploum.net/cherie-il-ny-a-plus-de-papier/index.gmi