Le marketing, une religion malveillante, incompétente et dangereuse
par Ploum le 2024-08-18
Le marketing est devenu une religion. Un ensemble d’actions que les pratiquants appliquent aveuglément parce que « tout le monde le fait ». Comme toute religion, c’est profondément stupide.
Ticket de train européen
Prenez l’idée de mettre en place un ticket de train européen. Simple, efficace.
Mais le plus gros morceau, ça va être de convaincre les marketeux de la SNCF qui s’efforcent, depuis des années, de faire exactement le contraire en forçant chaque voyageur qui traverse la France d’apprendre la différence entre un TGV Ouigo et un TGV Inoui.
Comme si on en avait quelque chose à foutre du nom du train dans lequel on est…
Mais pour les marketeux, deux types de trains, c’est deux fois plus de budgets pour faire deux fois plus de pub. Bref, si vous êtes dans le marketing, comme disait Bill Hicks : « Please kill yourself ! »
Comme le dit Esther sur Mastodon : il faut considérer la publicité de la même manière que les spécialistes en sécurité considèrent les injections de code. Une exploitation frauduleuse d’un bug !
Marketing intelligent
Regardez cette mode de rendre tout « intelligent ». Et bien il s’avère que je ne suis pas le seul à ne pas vouloir une brosse à dents ou un frigo « intelligent ».
Une étude à démontré que le mot « artificial intelligence » est une raison majeure pour ne pas acheter un produit.
L’une des critiques majeures que je fais envers la bulle AI c’est qu’elle n’est absolument pas nouvelle.
Vous vous souvenez du scandale Ashley Madison ? Un site de rencontre pour adultes mariés souhaitant vivre des aventures extra-conjugales. La base de données s’était fait pirater et les noms et informations des adultes inscrits avaient été rendus publics. « Mais chérie, je te jure que c’était juste pour tester ! »
Le truc que tout le monde a raté c’est qu’en réalité, les membres du site n’étaient que des hommes. Et qu’ils payaient pour chatter, sans le savoir, avec des bots. Ce qui, ironiquement, signifie qu’Ashley Madison rendait les maris volages plus fidèles vu qu’ils perdaient leur temps à draguer des algorithmes.
Mais là où je pleure, c’est lorsque des entreprises qui ont des intérêts a priori opposé à cette mode de l’AI partout tombent en plein dans le panneau. Comme par exemple Protonmail, qui se focalise sur la sécurité et la confidentialité de vos emails.
Et bien ils viennent de lancer un assistant AI pour rédiger vos emails à votre place. Ça pose plein de questions sur la confidentialité bien résumées ici:
Mais, avant cela, la question principale qui me vient à l’esprit c’est : si vous ne voulez pas écrire un email, pourquoi l’envoyer en premier lieu ? Pourquoi le rendre plus long que nécessaire ?
Qui trouve réellement plus facile d’écrire un prompt et de relire en email automatiquement généré que de juste écrire ce qu’il veut dire ? Vous trouvez qu’on a pas assez d’emails comme ça ? Vous trouvez que les gens sont tellement doués avec l’expression écrite que leurs textes sont trop précis, trop clairs et qu’il faut absolument complexifier et allonger tout ça ?
C’est effrayant comme le monde semble conçu par des incompétents pour des incompétents. Comme je le disais au Breizhcamp : si vous utilisez un ordinateur régulièrement, apprenez la dactylographie. Tant que vous ne maitrisez pas votre clavier, le reste est du bullshit.
Malveillant, mais incompétent
Le pire avec cette religion du marketing, ce n’est pas qu’elle soit totalement malveillante et qu’elle nous fasse tous contribuer à la destruction des écosystèmes. Non, le pire c’est que c’est avant tout le règne de l’incompétence totale. Tout le monde fait n’importe quoi sans rien comprendre.
Genre on utilise Slack.
Le truc le plus improductif du monde.
On en revient à l’algorithme de Richard Feynman pour résoudre un problème :
1. Écrire le problème
2. Penser très fort
3. Écrire la solution
Tous les outils, les meetings, les chats, les notifications sont des tentatives de ne pas faire les deux premières étapes, car c’est difficile. Cela demande un effort. Cela demande des moments de solitude. Alors on brasse du vent en espérant que le problème se résolve tout seul ou en harcelant quelqu’un pour qu’il le fasse.
Le fait de harceler celui qui résout le problème a deux avantages : s’il réussit, on pourra dire que c’est grâce à notre harcèlement. S’il échoue, on pourra dire qu’on ne l’a pas harcelé assez.
Comme le dit Sporiff, avant d’acheter tous les ustensiles spécialisés d’une cuisine, il vaut mieux investir dans quelques très bons couteaux et apprendre à s’en servir.
La tech réactionnaire
Les geeks de ma génération ont grandi avec l’idée d’un progrès technologique positif porté par des entreprises bienveillantes. « Don’t be evil ».
Mais, comme l’analyse Olivier Alexandre, sociologue au CNRS, si la tech jouit d’une image progressiste, elle est devenue fondamentalement réactionnaire. Les hippies d’hier sont devenus milliardaires et construisent des idéologies morbides pour justifier leur fortune.
Notre dépendance à la tech est pour la jeune génération ce que la dépendance au pétrole était pour les boomers.
Winter parle d’ailleurs de la suppression de son compte Twitter, Reddit et Facebook.
Twitter/X est devenu un réseau dédié à promouvoir Trump. Est-ce que vous créeriez un compte sur Truth.social, le réseau de Trump ? Probablement pas. Du coup, pourquoi êtes-vous encore sur X/Twitter ?
La réponse est simple : par immobilisme. Parce que c’est plus difficile de « défaire » que de faire, un truc que le marketing comprend très bien. On s’est moqué de Musk lorsqu’il a acheté Twitter pour une véritable fortune, qu’il perd de l’argent tout le temps. Mais si Trump est réélu, on réalisera que Musk n’a pas fait autre chose que Bolloré : investir son argent pour tenter d’imposer son idéologie.
Absurdité administrative
Mais en fait, tout cela est très logique. Le marketing nous vend une illusion de bienveillance et d’efficacité, mais veut surtout que nous soyons le plus inefficaces possible. Que nous gaspillons le maximum. Et que nous soyons malheureux pour compenser en achetant.
Un billet d’Olivier Ertzcheid résonne particulièrement en moi. Il décrit l’absurdité quotidienne qu’il vit dans son université. Et sa stratégie de demander toujours « Et après ? » lorsqu’on lui présente des tâches comme incontournables et qu’il négocie pour ne pas les faire.
Je n’ai pas sa patience. Je bouillonne de colère. Je refuse platement. Je dis « C’est parfaitement stupide. Je le ferai lorsque vous m’aurez démontré que ce n’est pas complètement absurde, con et dangereux ».
Lorsque je dis cela, j’attends sincèrement qu’on me démontre mes erreurs. Je crois sincèrement que je n’ai pas compris certains aspects. J’ai envie de comprendre.
Mais, dans l’immense majorité des cas, il n’y a rien à comprendre qu’une obéissance aveugle et un refus total de se poser la moindre question. Je suis simplement, subtilement écarté de tous les processus.
Souvent, on me dit que je suis prétentieux. Que je prends les gens pour des cons. C’est parce que, lorsque je pose des questions, personne ne veut m’expliquer. Personne ne sait m’expliquer. On me dit que « C’est comme ça ! ». « C’est évident ! ». Je réponds que non, pas pour moi.
Alors on me regarde avec une forme de pitié : « Le pauvre… Il ne comprend pas l’importance du processus de décision du format des timesheets ». Et je lis dans leurs yeux qu’eux non plus ne le comprennent pas, mais qu’ils n’arrivent même pas à le réaliser. Qu’ils n’ont pas le droit de le réaliser.
Alors je vous le demande, à vous qui me lisez, à vous dont je suis sûr que vous percevez l’absurdité de bien des actions qu’on vous demande de faire : demandez « Pourquoi ? ». Demandez « Et si on ne le fait pas ? ». Cela ne vous coûtera rien. Cela ne fera pas de vous un rebelle. Mais ce sera déjà un début…
Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.
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